L’articolo di Le Monde sulle Linee Guida Volontarie sulla terra

Le Comité de la sécurité alimentaire veut encadrer les achats de terres

LE MONDE | 10.05.2012

Antonio Onorati, président de l’ONG italienne Crocevia et vieux routier des luttes en faveur des petits paysans, l’affirme sans détour : “Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale était depuis sa création, en 1974, le plus inutile des comités de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture].”

Vendredi 11 mai, ce comité devrait faire mentir sa réputation : réunis à Rome en session extraordinaire, ses membres devraient adopter un texte très attendu, censé encadrer le développement des acquisitions de terres.

Intitulé “Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts”, ce document d’une quarantaine de pages est le fruit d’une réforme du Comité de la sécurité alimentaire (CSA) intervenue en 2009 et de plusieurs mois de négociations entre les Etats, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé.

Partant du constat que “des droits fonciers inadaptés et non sécurisés augmentent la vulnérabilité, la faim et la pauvreté”, ces directives volontaires se veulent “un document de référence” définissant les principes et pratiques souhaitables en matière de gouvernance foncière et d’accès à la terre. “C’est aux Etats qu’il incombe de les mettre en œuvre”, rappelle le texte, bien qu’elles n’aient pas de caractère obligatoire.

26 MILLIONS D’HECTARES DANS LE MONDE DEPUIS 2000

Même s’il ne le nomme pas expressément, le document s’attaque au phénomène de transactions à grande échelle de terres agricoles qui, selon un rapport publié en avril, aurait touché au moins 26 millions d’hectares dans le monde depuis 2000. “Que l’on ait réussi à trouver un consensus et préserver un état d’esprit constructif tout au long du processus d’élaboration est assez admirable, assure une personne ayant participé aux négociations. D’autant que le texte final a de la substance.”

Les deux points sur lesquels les discussions ont longtemps achoppé ont été la reconnaissance des droits fonciers existants, notamment des droits coutumiers et des droits d’usage; et la question des investissements. “C’est sur ce sujet qu’il a été le plus difficile de trouver des éléments de langage qui convenaient à tous, reprend le même négociateur. Car il y avait un éléphant dans la pièce: la question des accaparements de terres.”

Sur ce chapitre, le texte affirme que “les Etats et les acteurs non étatiques devraient reconnaître que des investissements publics et privés responsables sont essentiels si on veut améliorer la sécurité alimentaire” et attire l’attention des Etats sur “les risques que les transactions à grande échelle portant sur les droits fonciers sont susceptibles de présenter”.

Les directives insistent également sur la question de l’égalité des sexes en matière foncière et sur les droits des peuples autochtones. Elles évoquent les expropriations et indemnisations, ainsi que le règlement des différends sur les droits fonciers.

“UNE PLATEFORME DE GOUVERNANCE LA PLUS INCLUSIVE POSSIBLE”

Le processus d’élaboration du texte a suivi un modèle inédit, puisque les représentants de la société civile (ONG, associations de petits paysans ou de pêcheurs, représentants des peuples autochtones, etc.), le secteur privé, les fondations philanthropiques comme celle de Bill et Melinda Gates, les institutions internationales dont la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale du commerce, auxquels s’est ouvert le CSA depuis sa réforme de 2009, y ont été pleinement associés.

“L’idée était d’avoir une plateforme de gouvernance la plus inclusive possible”, note un représentant du ministère français des affaires étrangères. “Le CSA est le seul espace où les mouvements sociaux peuvent échanger d’égal à égal avec d’autres acteurs”, relève Renée Vellvé, de l’ONG Grain.

Mais une fois adoptées, ces directives volontaires ne risquent-elles pas de rester lettre morte? Les représentants de la société civile espèrent s’en servir comme arme dans leur lutte contre les acquisitions de terres, notamment face aux Etats un peu trop conciliants, à leur goût, avec certains investisseurs. “Même si elles ne sont pas contraignantes, elles figureront parmi les textes qu’un juge pourra brandir lors d’un procès, estime-t-on au ministère français des affaires étrangères.

LA SOCIÉTÉ CIVILE VEUT PARTICIPER AUX NÉGOCIATIONS

Une hypothèse à laquelle Alain Rochegude, professeur de droit à l’université de Paris-I, ne croit pas. S’il estime que les directives volontaires sont “non seulement utiles mais nécessaires”, ce spécialiste des questions foncières en Afrique affirme également qu’en l’absence de choix clairs effectués dans ce domaine, le texte du CSA ne constitue qu’un “substitut de solution permettant de satisfaire un peu tout le monde” et qui “ne vaudra que parce que les gouvernements et le marché voudront bien en appliquer”.

Les directives risquent également d’entrer en concurrence avec un autre texte, intitulé “Principes optionnels pour un investissement agricole responsable, respectueux des droits, des moyens de subsistance et des ressources”, élaboré par la Banque mondiale en 2010, en liaison avec la FAO.

Ces principes ont été mis entre parenthèses pendant la négociation des directives du CSA, mais des discussions doivent reprendre en 2012 sous l’égide de la Banque mondiale.

Cette fois encore, la société civile tient absolument à en être. “Il est nécessaire que ce texte se réfère largement aux directives volontaires, qui sont bien plus ambitieuses, affirme Maureen Jorand, chargée de mission au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire). S’il y a concurrence entre les deux textes, il est évident que les entreprises se référeront à celui qui imposera les normes les moins exigeantes.”

Olivier De Schutter, le rapporteur spécial des Nationsunies pour le droit à l’alimentation, estime quant à lui qu’il était nécessaire de “définir des directives générales sur la gouvernance foncière avant d’adopter des règles sur les investissements fonciers”. Il dit espérer que les directives volontaires mettront un terme à la course que se livrent certains pays pour attirer les investisseurs “en démantelant toute protection accordée aux usagers de la terre”.

Gilles van Kote

Fonti: lemonde.fr